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Il était une fois le journalisme...


ses problèmes et ses solutions...

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Présentation de l'enquête.

Mensonges, rumeurs, spéculations, avec la course au clic, les média ne cherchent qu’à récupérer un maximum d’audience en mettant en avant du contenu peu qualitatif et dénué de recherches ou d’un quelconque approfondissement. Ils voient le monde en sens unique : voilà ce que vous leur reprochez. En tant qu’apprentis journalistes nous sommes témoins de cette violence depuis de nombreuses années sur les réseaux sociaux à l’occasion d’événements inédits comme les manifestations des Gilets jaunes ou plus récemment les violences policières vis-à-vis des journalistes. Vous y êtes allés un peu fort, mais vous aviez sans doute raison.

Cher Public,

Aux dernières nouvelles, vous avez moins confiance en l’information véhiculée par les média et les journalistes. Selon le journal La Croix, 4 Français sur 10 se détournent de l’information en 2020. Nous sommes allés à votre rencontre et vous êtes catégoriques. Selon vous, les journalistes ne sont pas indépendants des pressions des partis politiques et du pouvoir : "je pense que les média nous disent ce qu’on a envie d’entendre et ne nous disent pas forcément tout. C’est ça qui me désole. J’ai besoin de réalité et de concret." déclare Mathilde, 43 ans, femme au foyer à Paris. Hervé, 65 ans, retraité en Seine-Saint-Denis explique qu' "à cause des média c’est le bordel dans les cités. On se fait une image faussée de la réalité. Et ça, c’est dangereux". Selon lui, "ils stigmatisent beaucoup trop et oublient les fondements de leur métier : nous servir l’information correctement. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est trop souvent du potin pour attirer un maximum d’audience.". "Personnellement, je ne leur fais plus confiance." explique Nadine, 26 ans, étudiante en biologie à Paris. Sans compter que depuis l’avènement d'Internet, les Français ont considérablement changé leurs habitudes en allant chercher, et même produire, eux-mêmes l’information sur les réseaux sociaux. Une habitude qui a engendré une pluralité de vecteurs d’information et la circulation de fakes news. 

Les enquêteurs

C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, nous, Alexandre, Loïs, Emma, Amel et Mounia, souhaitons à travers cette enquête vous parler de notre futur métier, du rapport à l’information de nos jours et surtout d’ouvrir le dialogue et d’essayer de comprendre le mal-être des Français qui n’ont plus confiance en la profession. Le but est d’envisager à travers de nombreux concepts le journalisme en interrogeant les média et les journalistes décriés ou non et le public pour comprendre d’où vient le problème et entrevoir notre journalisme de solution; dont le remède réside pour certains à un retour aux fondamentaux avec la Charte de déontologie du journalisme et pour d’autres à tenter de nouvelles stratégies de mise en avant des contenus. Nous avons bon espoir de montrer que ce métier va au-delà de la course à l’audience ou à l’argent, car le but est de remplir notre mission première : servir le peuple avec engagement et convictions.

Nous vous proposons donc de nous suivre à votre rencontre, mais également à la rencontre de spécialistes, de rédacteurs en chef de média et de journalistes pour enfin ouvrir le dialogue. Conscients du ras-le-bol généralisé à l’égard des média, vous découvrirez même dans cette enquête des initiatives et des médias qui tentent de trouver des solutions redorer le blason du journalisme. De quoi créer le média idéal ? 

 

Ne manque pas cela Public !

À très vite, Mounia, Alexandre, Emma, Loïs, Amel

Ecriture : Mounia Saadi

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Défiance envers les médias :
un phénomène aux multiples facteurs

Le climat actuel français est tel que les médias ne font plus l’unanimité. De la télévision à internet en passant par la radio, ils font l’objet d’une défiance générale causée par de multiples facteurs.

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“L’information exposée dans les circonstances les plus choquantes est celle dont le public se souviendra le plus longtemps” disait Aristote, qui pourrait avoir vu juste ! Car en pleine crise sanitaire inédite pour notre génération, cette année marque un rebond général de l’intérêt des Français envers la sphère médiatique : effectivement, le 34e baromètre La Croix (délivré par Kantar) indique une hausse de nos concitoyens qui pensent que “les choses se sont passées comme on l’a raconté” sur internet, à la télévision, en presse écrite, ou à la radio. Une avancée de deux points par rapport à l’année précédente. 

 

Pourtant rythmée par les nouvelles anxiogènes du Covid-19, cette année semble réconcilier l’opinion publique et l’indépendance journalistique : “Moins d’un Français sur trois (29 %) juge les professionnels de l’information indépendants des pouvoirs politiques (+ 4 points) et financiers (+ 3 points).” Des chiffres qui étaient en chute l’année dernière, lorsque nous avons commencé cette enquête. 

Illustration : Amel Sayad

Lors de notre point de départ, nous constations une véritable cassure entre les Français et les médias, particulièrement concernant la crédibilité de ces derniers. Et si 2021 gagne des points, elle n’éradique pas pour autant les facteurs profonds qui ont, à travers le temps, mené le public à un désintérêt de l’information. 

 

En tant que jeunes journalistes, nous avons souhaité comprendre pourquoi la crédibilité des média était-si controversée dans une ère qui laisse une liberté sans précédent à la délivrance de l’information. Nous nous sommes alors entretenus avec des experts qui nous ont aidé à comprendre ces enjeux à travers trois grands angles complémentaires : la capitalisation des média, le traitement médiatique, et l’avènement d'internet et des réseaux sociaux. 

La capitalisation des média

 

Cet angle est le résultat d’une interrogation : si les Français n’arrivent plus à accorder leur confiance à ceux qui leur délivrent l’information, est-ce notamment parce que ces derniers peinent à faire preuve de neutralité ? 

 

Plus que jamais, l’impartialité des journaux est remise en question. Et pour cause, ce sont aujourd’hui 10 milliardaires qui possèdent la plupart des média français, de Patrick Drahi (Libération, L’Express, BFMTV, RMC) à Serge Dassault (Figaro) en passant par Bernard Arnault (Les Echos, Le Parisien) ou encore Martin Bouygues (TF1, LCI, Eurosport). 

Un climat capitaliste qui rime avec “corruption” à l’oreille du public, car le désir de contrôler l’information quotidienne n’est pas innocent. “Je redoute 3 journaux plus que 100 000 baïonnettes" disait Napoléon Bonaparte, une phrase qui fait sens de manière intemporelle. Car l’information influence indéniablement une opinion publique qui peut servir ou desservir les intérêts de ces milliardaires.

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Carte du Monde diplomatique “Qui possède quoi” actualisée en 2020 - Crédit : Jérémy Fabre

Politiquement, cette capitalisation des média pose problème. Emmanuel Macron aurait-il été élu sans Patrick Drahi ? Nicolas Sarkozy aurait-il été président sans Vincent Bolloré ? Ces interrogations traduisent la défiance qui persiste autour de ce qu’on surnomme “le quatrième pouvoir.”  D’un autre côté, si le secteur de la presse se laisse racheter par ces millionnaires, c’est aussi car il est de plus en plus fragile. Seulement, cette dépendance financière crée un cercle vicieux : le manque d’argent crée la  une course à l’information, pour justement faire des bénéfices et ramener cet argent. 

 

Suppressions de postes, restructuration des maisons, tout est bon pour éviter le naufrage, comme celui qu’a connu l’ancienne chaîne de télévision iTélé, où travaillait Lucie Spindler. Pour la journaliste, tout n’est pas tout noir ou tout blanc : “Il n’y a pas de vérité générale. Penser qu’un actionnaire va tuer la ligne éditoriale d’un journal, c’est un mythe, c’est dangereux. C’est un discours de temps de crise, où l’on remet en cause toutes les élites. Mais on peut être dépendant financièrement et indépendant éditorialement.”  Même constat de la part de Raphaël Garrigos, ancien journaliste de Libération, pour qui la défiance envers les médias est aussi vieille que la presse : “On a eu au début du siècle dernier une presse corrompue. Je pense qu’on a jamais eu une presse aussi corrompue qu’aujourd’hui. La défiance s’exerce à beaucoup de niveaux. Elle va être dans la connivence avec les politiques notamment ou avec les entreprises.”

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Une problématique qui semble moins toucher le service public : France Télévision ou Radio France bénéficie toujours d’une certaine crédibilité auprès des Français, alors qu’elles sont détenues par l’Etat. Spindler explique ce phénomène : “Ces médias sont censés apporter quelque chose au bien commun. Le service public doit apprendre des choses, faire de la pédagogie, être proche des gens et des problématiques locales. Il y a moins cette logique commerciale.” 

 

Ces explications nous ont mené à l’interrogation suivante : est-il possible de se défaire du cercle vicieux qui corrèle le capitalisme et les médias ? Pour Splinder, nous détenons les outils pour être optimiste “Peut-être que nous aurons dans 50 ans du journalisme porté par internet avec des formats longs, des podcasts, des enquêtes et des modèles payants qui marcheront.” Elle redoute tout de même un modèle journalistique appauvri de “dépêches faites en deux secondes avec des mots clés et sans travail de fond.”

Illustration : Mickomix pour “Agoravox, le média citoyen”

La réussite d’un média dépend de plusieurs choses : l’indépendance financière et le fait de proposer quelque chose qui trouve son public, il faut répondre à une demande, écouter les gens. Et Raphaël Garrigos a décidé de ne pas attendre 50 ans pour faire bouger les choses ! C’est pourquoi il se réunit en 2015 avec d’autres journalistes de Libération pour quitter la rédaction et créer Les Jours, en respectant une ligne de conduite financière qu’il considère comme idéale : “Nous avons fait le choix d’emblée de vivre uniquement du journalisme et de nos abonnés ! Nous n’avons pas de publicités parce que là encore, il s’agissait pour nous d’instaurer une confiance avec le lecteur. Autrement dit, leur dire que tout ce que vous avez sur Les Jours, c’est du "vrai" journalisme. Nous ne faisons pas de sites en marque blanche, de brand content ou de formation.” 

Attention, la formule des Jours n’est pas miraculeuse et ne balaye pas d’un revers les problématiques relatives à la course à l’information et la production de profits. “Vivre de l’abonnement et surtout trouver des abonnés au début ce n’est pas toujours simple ! Il faut créer une addiction chez les gens pour les attirer,” explique Raphaël Garrigos. “C’est un échange avec le lecteur comme dans le cadre de la signature d’un contrat. On assure aux lecteurs que s’ils s’abonnent, ce qu’ils liront sur Les Jours, ils ne le liront pas ailleurs car nous parions sur un journalisme de qualité et profond. Et tout cela, ça demande du temps. Souvent, c'est un processus très lent, mais qui malgré tout à payer puisque nous comptons aujourd’hui 12 000 abonnés. Ceci nous amène à un équilibre financier. C’est cela qui a été d’abord compliqué et d’autant plus compliqué qu’on a choisi d’être indépendant." 

Si Les Jours fonctionnent si bien aujourd’hui, c’est peut-être aussi car ils choisissent un différent modèle de traitement médiatique, second facteur de défiance des médias selon nos observations. 

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Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, cofondateurs des Jours - Photo Pierre Morel

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Acte 24 des gilets jaunes - Photo : Jonathan Philippe Lévy 

Le traitement médiatique  

 

“Trop d’information tue l’information” cite Noël Mamère dans La dictature de l’audimat. Un constat d’autant plus remarquable qu’avec l’avènement d’internet  - dont nous parlerons plus bas -  et la course à l’information, son traitement médiatique séduit de moins en moins le public français. Pierre Bourdieu dénonçait en 1996 lors de son cours télévisé du Collège de France, une télévision qui “subit plus que tous les autres univers de production culturelle, la pression du commerce, par l’intermédiaire de l’audimat.” Pourtant, une des choses majeures qui a contribué à cette défiance envers les journalistes, est la pratique qui revient à couvrir un événement dans l’actualité et directement passer à autre chose.

 

Raphaël Garrigos se souvient du traitement de l’affaire Théo, il y a 3 ans : “Théo est violé par la matraque d’un policier, et directement après on a une succession d’événements violents avec des voitures qui brûlent et des réactions enflammées à la télévision et sur les réseaux sociaux. Mais on se rend com - 

pte que tout cela ne nous apprend rien finalement. Nous avions à l’époque une journaliste de la rédaction qui n’est pas rentrée dans la cité mais qui a préféré y aller après que la colère soit passée. Elle a fait une série sur les relations entre les habitants d’Aulnay-sous-Bois et leur police. Elle est restée deux mois à discuter avec les gens dans un climat apaisé.”

Dans son analyse de la télévision, Bourdieu déplore notamment un manque de véracité des débats télévisuels, “ce sont des gens qui se connaissent, qui déjeunent ensemble, qui dînent ensemble.” A l’époque, il se questionne : “Est-ce que le public est conscient de cette complicité ? (...) Ils sentent bien qu’il y a quelque chose mais ils ne voient pas à quel point ce monde [de la télévision] est clos, fermé sur lui-même, donc fermé à leurs problèmes, à leur existence même.” Un quart de siècle plus tard, les Français semblent s’être rangés du côté du sociologue. Pour preuve, cette seconde sonnette d’alarme tirée en 2019 avec la crise des gilets jaunes. Cet événement dirige une partie de son ressentiment vers les média d’informations : lors de l’acte VII du 20 décembre 2018, les manifestants appellent à une “tournée des médias” : blocage d’imprimeries et de dépôt de journaux, menaces et agressions contre des journalistes… presque une déclaration de guerre, ou du moins une demande de remise en cause des institutions. 

C’est un traitement trop superficiel de l’information qui est déplu, et le manque d’investigations de fond. Camille Polloni, journaliste à Médiapart, considéré par nombre de nos intervenants comme un exemple du média idéal, sait reconnaître les forces de sa maison : “Le succès de Mediapart tient au fait qu’il se soit identifié comme un média d’enquête, de profondeur. Il y a une façon de s'adresser à l’audience, de traiter l’information, qui est professionnelle et efficace. Les rubriques ne sont pas strictes, et il y a la promesse que les lecteurs puissent jouer un rôle.” 

L’avènement d’internet et des réseaux sociaux 

 

Pour une recherche, des millions de résultats. Ainsi fonctionne internet, et le monde de la presse n’est pas épargné. Les journalistes font face à de nouveaux challenges causés par internet et les changements sociaux, culturels, économiques et technologiques qu’il apporte. De nouvelles caractéristiques sont à prendre en compte, comme l’interactivité : les lecteurs peuvent donner directement leur ressenti sur un article, une enquête, une information tout simplement.

 

De plus en plus de contenu informatif disponible en un clic et gratuitement : un progrès du XXIe siècle qui permet aux lecteurs de devenir acteurs de leur propre quête d’information. Pour le sociologue français Jean Marie Charon, "ces informations sont souvent mises sur le même plan, proviennent de médias de toutes natures, mais aussi de groupes de pression, promoteurs d’objets et d’idées, intoxicateurs et désinformateurs en tous genres.”

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Illustration Réseaux Sociaux - Shutterstock

Plusieurs médias mettent alors l’accent sur le “fact-checking” (vérifier les faits). Le Monde, par exemple, possède déjà une équipe, les “décodeurs” qui ont pour mission de détricoter les faits. L’idée est née après l’avalanche de fake news qui a suivi les attentats terroristes de 2015. 

Néanmoins, Gary Dagorn, journaliste chez Le Monde et aux Décodeurs, n’est pas aussi enthousiaste face à cette initiative. “On n’est pas aussi utile que ce qu’on aimerait être. On a un peu l’impression d’être les Danaïdes qui vident le tonneau à la passoire. Mais c’est encore important d’amener ce type de contenu. On est bien référencés, l’idée est aussi d'apporter des briques sur certains éléments du débat public, lorsque les gens vont chercher des éléments sur google, ils pourront au moins tomber sur ce qu’on dit. On ne laisse pas le monopole aux blogs, aux réseaux sociaux où il est facile de tomber sur des fausses informations.” 

Une autre caractéristique à prendre en compte sur internet est la rapidité de l’information. S’il y a, pour une recherche, des millions de résultats, ce n’est pas tant grâce à la passion de l’information des journalistes, mais plutôt dans le but de gagner une course au “clic”, à l’audience, et donc au nerf de la guerre : l’argent. Cette problématique n’est pourtant pas née de l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, en démontrent la suite de l’analyse de Bourdieu sur la télévision où il décrit l’évolution de cette dernière qui, “dans les années 50 se voulait culturelle” mais qui a changé de cap dans les années 90 pour “toucher l’audience la plus large.” La toile aurait donc simplement exacerbé cette évolution des médias avec un coup d’accélérateur sur une "infobésité" destructrice qui était déjà imminente. 

Ecriture : Amel Sayad

La défiance envers les médias s'arrête-t-elle aux frontières françaises ?

Gilets jaunes, avènement d’Internet et des réseaux sociaux, capitalisation des médias… Depuis plusieurs années, le monde du journalisme a connu de tels bouleversements que la défiance envers les médias a atteint des records en France. Mais la France est-elle un cas particulier ou un exemple parmi tant d’autres ?

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L’intérêt porté à l’actualité atteint son niveau le plus bas en 2020 - 59% - après une perte de 8 points de pourcentage par rapport à 2019. Source : 33e Baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar pour  La Croix

24% en 2019. 23% en 2020. Voilà la confiance que les Français accordent aux médias ces deux dernières années selon le Digital News Report de Reuters. En plus de ces chiffres records, le 33ème baromètre réalisé par Kantar en 2020 pour La Croix montre que l’intérêt porté à l’actualité n’a pas dépassé les 70% depuis 2016, perdant même jusqu’à 8 points de pourcentage entre 2019 et 2020. Sur la seule année 2020, 4 Français sur 10 se détournaient de l’information au motif qu’elle ne rend pas compte des préoccupations de la population. Avec un tel constat, la France se classe 39ème sur les 40 pays étudiés par le Digital News Report de Reuters en 2020, juste avant la Corée du Sud.

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Si la France est en queue de peloton sur la question, ce n’est pas le cas de notre voisin, l’Allemagne. Dixième sur quarante selon Reuters, le pays enregistre un taux de confiance de 45% en 2020, près du double de la France. La défiance envers les médias ne semble donc épargner aucun pays. Même la Finlande, premier pays des 40 étudiés par le rapport, enregistre un taux de confiance médiatique avec une courte majorité : 56% seulement.

La France n’est donc pas le seul état à faire les frais de la défiance médiatique mais elle reste un cas particulier à l’échelle européenne, atteignant des records sans précédents ces dernières années. En bref, la confiance envers les médias en Europe semble s’organiser de manière géographique : confiance au Nord, défiance au Sud. Rien d’étonnant quand le classement mondial 2021 sur la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières place cinq pays nord-européens en tête de liste : la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas.

 

Loïs Larges

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INDÉPENDANCE DES MÉDIAS :  MISSION IMPOSSIBLE ?

Indépendance éditoriale et/ou économique, création de l’information, buzz, qualité du contenu... Aujourd'hui plus que jamais, le quatrième pouvoir fait débat. Dans un contexte d'instantanéité de l'info, la presse et ses journalistes sont confrontés à de nombreuses remises en question quant à leur indépendance dans le traitement de l’information. Réponse en podcast avec Mounia Saadi !

Retrouvez aussi notre en 2 minutes avec Raphaël Garrigos (co-fondateur les Jours), sur Vivre de l'indépendance 

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Le quatrième pouvoir
face au défi des fake news

Internet, réseaux sociaux, information gratuite… autant d’éléments ont causé la multiplication des fake news ces dernières années. Face à cette propagation plus vive et rapide que jamais, le monde du journalisme semble affronter un titan.

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Locaux de CheckNews, la cellule de fact-checking fondée par Libération le 15 mars 2019

Crédits : PP/L’Express

Fake news, fausse information, désinformation : ces trois termes semblent bien similaires. L’erreur cependant, serait de les confondre, car ils ont chacun une définition qui leur est propre. 

 

“La fake news, c’est à la fois de la désinformation et une volonté de réinformation” selon Thomas Huchon, journaliste et conspi hunter - traqueur de complots - chez Spicee. Pour lui, c’est simple, “la fake news, c’est l’idée qu’il y a systématiquement une intention dans le fait de mentir et de manipuler”, explique-t-il. Une subtilité essentielle qui crée beaucoup de confusion dans les esprits. Cette définition, Jacques Pezet, journaliste de la cellule de fact-checking de Libération - CheckNews -, la partage, “une fake news est une information qui est partagée sur les réseaux sociaux à dessein de tromper”, affirme-t-il. Force est de constater que ce phénomène s’est accentué ces dernières années avec l’apparition de l’information gratuite et l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux, qualifiés de “réservoir incroyable à fake news” par William Audureau, journaliste fact-checker aux Décodeurs du Monde. Et pour cause, ces derniers font figure de mauvais élève sur le sujet en étant le canal d’informations le plus exposé au phénomène. En effet, selon Statista, un Français a un taux d’exposition aux fake news sur les réseaux sociaux de 24% en 2018, contre 10% à la télévision, 9% sur des sites d’informations ou 5% à la radio. 

Si la distinction entre ces trois termes est floue, c’est pour une raison selon Thomas Huchon : la traduction de “fake news” en français, “on utilise souvent le terme de fake news pour parler de fausse information mais fausse information se dit false news en anglais”, explique le journaliste de chez Spicee en complétant, “les journaux peuvent diffuser de fausses informations parce qu’ils se trompent ou qu'ils font des erreurs éditoriales”. Cela crée de la confusion dans les esprits, “on met des productions avec des logiques différentes dans le terme de fake news : information erronée, faux article, article parodique, article qui cherche à faire de la captation d’attention…”, soutient William Audureau, qui met le doigt sur un problème majeur : dès lors qu’une information est fausse, elle est systématiquement qualifiée de fake news, qu’importe le contexte, l’auteur, l’objectif… Or, “le chemin n’est pas le même”, pointe Thomas Huchon. Bien que ce soit “tout aussi mal de diffuser des fausses informations”, il rappelle combien c’est essentiel de différencier “les fausses informations qualifiées de fake news de ce que l’on va appeler des erreurs éditoriales”

 

Des termes différents, certes, mais tout de même intimement liés pour le spécialiste des fake news, “il y a un lien direct entre le phénomène de désinformation et la fake news, c’est que l’un est le combat et l’autre, l’arme”, défend-il. Son confrère William Audureau explique, “quand il s’agit d’une fake news, ce n’est pas que l’information soit vraie qui compte, c’est son impact dans le débat public et sa capacité à orienter les esprits”

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Une lutte sans fin


“Un mensonge peut faire le tour de la Terre le temps que la vérité mette ses chaussures”, les mots de Mark Twain n’ont jamais été si vrais. Et pour cause, les fake news sont bien souvent très longues et difficiles à réfuter, “il est beaucoup plus rapide de dire que quelque chose est faux que de prouver que quelque chose est faux” explique William Audureau en s’appuyant sur la loi de Brandolini qui énonce : la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire. Notons aussi que le fonctionnement du cerveau humain a également son rôle à jouer dans l’ampleur prise par ce phénomène, “une fake news est dure à démentir dès le moment où une personne y a cru” selon Gary Dagorn qui soutient que “réfuter une fake news ne l’efface pas de la mémoire du cerveau”. De même, la défiance envers les médias peut, elle aussi, être une cause de ce phénomène, “une personne qui n’a pas confiance en les médias peut rejeter ce que le fact-checker va dire et croire au complot”, indique le journaliste fact-checker chez CheckNews. En bref, la France est dans une logique de la fausse information qui s’apparente véritablement à une “épidémie” selon William Audureau ou à un “cancer” selon la Une de L’Obs le 9 janvier 2019.

Une chose est sûre, les fake news ont toujours existé, “il n’y a pas de raison qu’elles n’existent plus”, assure Thomas Huchon, “ce qui a changé, c’est la manière de diffusion et la manière que les citoyens ont d’accéder à l’information”. Un avis que partage William Audureau selon qui “il faut sortir de l’image qui dit que les fausses informations sont nouvelles, ce qui est nouveau c’est la vitesse de diffusion”, assure-t-il. A cela s’ajoute une autre vérité, le faux circule plus vite et plus longtemps que le vrai de manière empirique. Selon une étude du MIT parue dans Science le 9 mars 2018, les fausses informations circuleraient six fois plus vite que les vraies ! “Tout cela est lié à quelque chose de basique : il est impossible de prouver que quelque chose qui n’existe pas n’existe pas”, explique Thomas Huchon. 

Des solutions vaines ou laborieuses

 

Bien que ce combat ait des allures de David contre Goliath, endiguer au maximum le phénomène relève de la nécessité. Pour ce faire, il existe différentes solutions. Certaines demandent du temps, d’autres des moyens, mais elles se révèlent de plus en plus essentielles dans un univers médiatique toujours plus flou et rapide.

 

 

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Voilà en quoi le fact-checking a son importance dans le monde du journalisme aujourd’hui. Pourtant, Gary Dagorn confie, “aux Décodeurs, on n’est pas aussi utile que ce qu’on aimerait être”, “on a un peu l’impression d’être les Danaïdes qui vident le tonneau à la passoire”, illustre-t-il en assurant néanmoins que ce travail de vérification, bien que vain, permet d’apporter “des briques sur certains éléments du débat public”. Malgré cette figure de Danaïdes, “rien ne nous prouve que les choses seraient pires si les cellules de fact checking n’existaient pas”, assure Thomas Huchon qui conclut, “ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas à convaincre des croyants qui sont dans l’erreur que ça ne touche pas des indécis qui évitent de tomber dans la croyance”. Par ailleurs, William Audureau l’affirme, “dans une démocratie, c’est un acte citoyen de lutter contre ce qui pourrait influer un vote, ça fait partie du rôle de contre-pouvoir des médias”.

 

Autre solution : l’éducation, “il n’y a pas de remède miracle contre les fake news à part le développement de l’esprit critique et la capacité de chacun d’entre nous à faire preuve de nuance et de modération”, explique Thomas Huchon qui rappelle néanmoins qu’on ne disposera jamais d’outils pour ça, “quand les gens croient à une fake news, ils ne croient pas à une fake news, ils sont persuadés de croire en la vérité. Le problème est là”, développe le journaliste de Spicee. L’éducation comme solution, Jacques Pezet l’envisage avec enthousiasme, “ça permet d’offrir aux gens les moyens nécessaires à l’identification d’une source fiable”, assure-t-il. En dernier lieu, reste encore l’abonnement qui est “la meilleure manière de lutter contre la désinformation” pour Thomas Huchon, “le journalisme est une économie”, rappelle-t-il. 

 

En clair, face à ce titan de la fake news, il faut restructurer et repenser tout un domaine, car une chose est sûre : la vérité ne suffit plus.

 

Loïs Larges

Une du magazine Science sur la diffusion des mensonges

Une de l'OBS sur le cancer des Fake News

La Une de « Aujourd’hui en France » sur l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès le 12 octobre 2019. Il s’agissait en réalité d’un homme prénommé Guy Joao - Crédit : Blondet Eliot/ABACA

Fake news
L'éducation aux médias,
une solution face à la défiance ?

Face à la défiance envers les médias et à l’ampleur des fake news, une question éveille de plus en plus d’esprits : celle de l’éducation à l’information et aux médias. Nombreux sont ceux qui s’accordent sur l’importance de cette discipline.  

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Le journaliste Thomas Huchon lors d’une intervention auprès d’une classe de 3ème pour apprendre aux élèves à démêler le vrai du faux - Image tirée du reportage “Tous complotistes ?” de Martin Weil diffusé sur TMC

“Je ne suis pas un apôtre du journalisme”, tels sont les mots employés par le journaliste Raphaël Badache au sujet de sa fonction de professeur d’éducation aux médias auprès de jeunes isolés. Car, il est essentiel de le rappeler, éduquer aux médias ne signifie pas faire l’éloge du journalisme, “je ne fais pas ça pour les réconcilier avec l’information mais pour leur donner des clés de compréhension”, explique-t-il avant d'ajouter que “la réconciliation, ce n’est pas l’objectif mais la conséquence”. L’intérêt étant, en premier lieu, de développer l’esprit critique des concernés. Même constat pour Jacques Pezet, fact-checker à CheckNews, “l’éducation permet d’offrir aux gens le moyen d’identifier une source fiable”, explique-t-il.

 

Pour Thomas Huchon, journaliste spécialiste des fake news chez Spicee, le problème est plus profond, “l’éducation aux médias et à l'information est la seule vraie solution mais elle ne se limite pas aux médias”, assure-t-il en expliquant que l’essentiel aujourd’hui est, non d’apprendre à s’informer, mais de “comprendre ce qu’il se passe derrière nos écrans”. Et pour cause, selon lui, avant de chercher à bien s’informer, il faut maîtriser les outils qui partagent ces informations, “avant d’apprendre à s’informer sur Internet, il faut comprendre comment fonctionne Internet, c’est la seule manière de lutter”, conclue-t-il. 

 

Néanmoins, tous s’accordent sur un point : l’éducation permet de lutter contre la défiance. Et pour cause, elle est un chemin vers plus de transparence, un point plus qu’essentiel puisque selon Gary Dagorn, fact-checker aux Décodeurs du Monde, “le milieu est perçu comme homogène et à tort car, en réalité, il ne l’est pas”, assure-t-il. Cette vision de l’univers médiatique crée des confusions dans bien des esprits et, par extension, du doute, de la remise en question, de la défiance. Un seul moyen de lutter : “leur dire ‘les médias, ça ne veut rien dire’, il faut être capable de faire le tri”, assure Raphaël Badache qui livre que, par ce biais-là, “les jeunes comprennent que tous les médias fonctionnent différemment”. L’éducation apparaît donc comme une vraie solution, la seule peut-être. Elle permet de “renforcer la crédibilité de certaines sources”, souligne Jacques Pezet.

 

Néanmoins, reste un problème : la fréquence de ces cours. En 2019, selon une étude du Cnesco - Centre national d’étude des systèmes scolaires -, seuls  52 % des élèves de troisième déclarent que le sujet des médias a été abordé en cours d’enseignement moral et civique (EMC) durant leurs années collège. Un chiffre étonnant car l’éducation aux médias fait partie du programme. En effet, selon le CLEMI - Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information -, l'éducation aux médias et à l'information (EMI) est intégrée dans l'intégralité des programmes du 1er au 3ème cycle, donc de la petite section à la sixième. Pour le cycle 4, correspondant aux classes de cinquième, quatrième et troisième, le programme d'EMC comprend un module dédié à l'EMI, ce qui représente quelques heures par an. 

Loïs Larges

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Le journalisme de solution, remède d’une presse en crise ?

Peu connu et pourtant de plus en plus présent dans nos médias, le journalisme dit constructif ou de solution se pose de plus en plus comme un moyen de redorer le blason d'une presse très critiquée. Serait-ce la « solution » pour regagner confiance en les médias ? 

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« Les gens se sentent impuissants face à l’information donc ils en viennent à ne plus nous regarder ou nous considérer. Si nous ne sommes pas à l’écoute, si on n’essaye pas de comprendre et si on n’essaye pas de trouver des solutions : le business model de la presse est foutu". - nous confie Anne Sophie Novel, journaliste, auteure de l’enquête « Les Médias, le Monde et Moi »

 

L’objectif est clair, il faut aller plus loin que simplement relayer une information pour capter le lecteur et lui redonner l’envie et le besoin de s’informer. C’est là qu’entre en jeu le journalisme de solution. 

« Journalisme de solution », kézako ?

L’arrivée d’internet pour les médias a été synonyme de renouveau technologique, l’information allant toujours plus vite et touchant le plus grand nombre. Malheureusement, elle coïncide aussi avec l’apparition de nombreux maux, le flux d’informations étant sans doute trop important pour le bon traitement de l’actualité, ce qui a conduit a une infobésité

(ndlr: surabondance d’informations). 

Conséquence, les français se détournent de plus en plus de l’information. Sur la seule année 2020, 4 Français sur 10 se détournaient de l’information au motif qu’elle ne rend pas compte des préoccupations de la population. (Source : Baromètre 2020 de la confiance des Français dans les media)

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Anne Sophie Novel (à gauche sur la photo) présentant son enquête « Les Médias, le Monde et Moi » lors du Printemps du Club Presse de Bordeaux - crédit photo : Philippe Roy. 

Le journalisme de solution est un journalisme qui prolonge les réflexes lorsqu’on a fait une bonne enquête. « Une fois le problème et les faits rapportés, le journaliste tente maintenant d’y trouver des solutions et de les mettre en avant ! » - explique la journaliste. Comment ces initiatives fonctionnent ? Quand ont-elles été mises en œuvre ? Qu’ont-elles apporté ? Si la réponse se doit d’être apportée par le journaliste lorsqu’il produit du journalisme de solution, ce n'est pour autant pas un journalisme dont le but est de mettre en avant des héros, des ONG… c’est un journalisme qui s’appuie sur des faits révélés pour ensuite avoir de l’impact. 

 

« Je suis persuadée que le journalisme de solution peut constituer un remède face à cette crise. Pour rétablir cette confiance, il faut écouter, rentrer dans un dialogue, expliquer nos méthodes de travail et surtout essayer d’éclairer autrement le monde. » Les journalistes, pour être adaptés à leur siècle, dans un Monde qui va de plus en plus vite, se doivent d’être dans une forme de curiosité quotidienne certes, mais doivent aussi savoir se former en permanence et se renouveler. 

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Mais alors, est-ce que ça marche le journalisme de solution ? 

 

Prenons, l’exemple de Nice Matin racheté par ses salariés en 2014 après avoir été placé sous redressement judiciaire. Si le gout et la curiosité de l’innovation ont pu jouer au départ, la refonte de la ligne éditoriale orienté solutions, a permis au groupe de se relancer. « On ne fait que de lancer des nouveaux formats de journalisme de solutions parce qu’on se rend compte que ça plait, le lecteur en redemande c’est un réel échange » confie Flora Zanichelli journaliste à la rubrique « Solutions » de Nice Matin. 

Présentés sous forme de feuilletons, avec des épisodes chaque semaine, les articles de solutions sont ceux qui déclenchent le plus d'abonnements sur le site Web, « sans doute parce qu’ils sont concernants pour les locaux et participent pleinement à la vie citoyenne de la région. ». En étant sur le terrain chaque jour, en prenant le temps avec les acteurs locaux d’approfondir une question, ils ont su regagner la confiance de leur lectorat plutôt qu’en simplement venant tendre son micro et rentrer à la rédaction.

Photo de la boite du DVD, Les Médias , le Monde et Moi 

Pour Benoit Raphael, consultant pour « Nice Matin » lors de son rachat par ses salariés, l’objectif éditorial était clair : « rendre le journal aux citoyens pour qu’il appartienne à ses salariés mais aussi à ses lecteurs et de se poser la question du média en tant qu’utilité ». Au travers de ses mots on se rend compte d’un intérêt commun pour que le journal puisse survivre mais soit acheté par ses lecteurs comme un achat nécessaire pour participer à la vie locale de la région. 

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Capture d’écran du site nicematin.com, présentant sa philosophie sur le journalisme de solution. 

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Il ajoute également que les enquêtes menées auprès de ses mêmes lecteurs a mis en lumière qu’ils comprenaient mieux un sujet où des solutions étaient apportées qu’un sujet de Journal Télévisé par exemple où on ramène seulement les faits principaux sans voir plus loin. Par ailleurs, ce format de journalisme a suscité (ou ressuscité) chez les lecteurs l’envie de s’informer et agir eux-mêmes. « On voit bien qu’il y a un enjeu majeur, celui pour le média de rendre les citoyens autonomes, de mieux penser le monde et de mieux agir, le journalisme de solution est un type de journalisme qui est indispensable pour le bon fonctionnement de la vie en démocratie » - confie-t-il. Depuis 2014, Nice Matin a gagné 12 000 abonnés, un exploit en ses temps compliqués pour les médias.

Alexandre Crouzet

Benoît Raphaël présente la nouvelle offre numérique de Nice-Matin - Crédit Franck Fernandes

Le saviez-vous ?

Il existe plusieurs chartes du journalisme

Olivier Da Lage, journaliste syndicaliste et ancien président de la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP), nous explique les trois différentes chartes du journalisme qui règnent en France.

 

La première, la plus ancienne, est “la plus admise” selon Olivier Da Lage. Il s’agit de la Charte des devoirs professionnels des journalistes du Syndicat National des Journalistes. Rédigée en juillet 1918, “cette charte est une référence”, explique-t-il. Elle fut remaniée une première fois en 1938 avant d’être actualisée et renommée “Charte d’éthique professionnelle des journalistes” en 2011.

 

La deuxième, c’est celle qui est enseignée en école de journalisme : la Charte de déontologie de Munich. Cette charte de dix devoirs et cinq droits a été signée en 1971 et est “un engagement des syndicats européens du journaliste”. Selon le journaliste syndicaliste, elle “reprend les mêmes thèmes mais d’une autre façon”.

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La dernière, étant la plus récente, est une charte “réactualisée” appelée Charte mondiale d’éthique des journalistes. Elle a été proposée par la Fédération Internationale des Journalistes et adoptée en 2019 au congrès de Tunis. Olivier Da Lage la décrit comme une “mise à jour d’un texte datant des années 1950”.

Olivier Da Lage explique que “cette pluralité des chartes tient au fait que tout le monde ne reconnaît pas nécessairement une seule charte”. C’est pourquoi, en 2009, Bruno Frappat réunit journalistes syndicalistes, membres de fédérations patronales d’éditeurs, universitaires et personnalités diverses pour “trouver un consensus sur un texte qui serait acceptable par tous”. Et pour cause, le journaliste explique que certains employeurs ne veulent pas admettre que la référence soit un texte syndical. Ce groupe est parvenu à s’accorder sur un texte mais ce dernier ne sera jamais adopté, syndicats de journalistes ou d’éditeurs ayant refusé que ce texte leur soit imposé.

 

Loïs Larges

Il y a de moins en moins de journalistes encartés en France

Qui dit journaliste, dit carte de presse. Et pourtant, nombreux sont les journalistes qui n’ont pas de carte de presse. En 2019, la France comptait plus de 35 020 encartés selon la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP). Dix ans auparavant, en 2009, on en comptait 37 390. A la mi-2020, la barre symbolique des 35 000 semblait bien loin, on en dénombrait seulement 33 679. Pour Olivier Da Lage, journaliste syndicaliste et ancien directeur de la CCIJP, “la situation économique de l’ensemble des médias” aujourd’hui explique en grande partie pourquoi on recense de moins en moins d’encartés. 

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Tableau du nombre de journalistes encartés en France - Source CCIJP

Le journaliste explique néanmoins que, “par internalisation d’une impossibilité qui en réalité n’existe pas”, certains journalistes ne demandent pas la carte de presse même s’ils y sont éligibles, “les refus de carte sont extrêmement peu nombreux”, soutient-il. Il rappelle également qu’"un refus de carte par la CCIJP en première instance ne marque pas la fin du processus, il y a possibilité de faire appel devant la Commission supérieure qui, dans un nombre significatif de cas, inverse la décision”. De même, si la Commission supérieure refuse, “il y a un troisième niveau d’appel devant la justice administrative, cela concerne quelques cas par an”, souligne-t-il.

 

Autre facteur, la carte de presse n’est attribuée que pour un an, “si on ne remplit pas les conditions une année, il n’y a aucune raison de ne pas demander l’année suivante si on pense que ces conditions sont réunies”, soutient l’ancien président de la CCIJP.

 

Dernière raison, et pas des moindres : la législation. Olivier Da Lage souligne que “certaines situations ne sont pas prises en compte par les textes législatifs et réglementaires”. Pour illustrer son propos, le journaliste évoque ses confrères réalisant des enquêtes dans l’audiovisuel. Ils sont rémunérés par des sociétés de production “à qui on n’applique pas la convention collective”. Néanmoins, des discussions sont en cours, “il faut trouver des solutions sans remettre en cause le statut”, alerte-t-il. L’intérêt est plutôt “d’ouvrir l’attribution de la carte à des gens qui, sans aucun doute, font du journalisme”, “au bout du compte, c’est ça l’essentiel”, conclut le journaliste.

 

Loïs Larges

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Explicite : il était une fois, le déclin d’un média prodige

Tout commence fin 2016 : la chaîne iTélé est reprise par Vincent Bolloré avec à la tête de la rédaction Jean-Marc Morandini, soupçonné à l’époque de harcèlement sexuel sur mineur. C’est un coup de massue pour les journalistes de la chaîne qui décident de se faire entendre en entamant une grève qui durera un mois. Pour Raphaël Badache, ex-journaliste d’iTélé, Vincent Bolloré utilise cette grève comme “prétexte pour licencier tous les journalistes.” 

 

La moitié des journalistes qui quittent la chaîne décident alors de s’associer pour créer un nouveau média : Explicite. L’ambition est claire : proposer quotidiennement une information de qualité.

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Les journalistes d'iTELE en grève devant leurs locaux en octobre 2016 © AFP / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT

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Logo du média Explicite

Neutre et objective, elle se veut libre de toute influence politique ou économique. L’objectif est alors de proposer une information creusée et qui permet à tous de mieux comprendre la société et le monde dans lequel on vit. 

 

“Il n'était initialement pas question de créer un média avec une ligne éditoriale et des journalistes rémunérés, mais plutôt de profiter du fait que toute une rédaction se retrouve au chômage pour montrer de quoi chacun était capable,” explique Raphaël Badache. “C’était l’occasion pour bon nombre de journalistes, frustrés d’avoir fait la même chose pendant 10 ans, de tenter de nouveaux formats et de nouvelles choses.” 

Une tactique mal définie 

 

La valeur ajoutée du média, c’est la mise en place de sujets d’actualités mais aussi de reportages de fonds pour mieux les comprendre.

Seulement, Explicite prend le parti pris de la stratégie de non-accès au contenu, “Si vous n’étiez pas abonné, vous n’aviez pas accès au contenu. Et ça, je pense que c’est une erreur” déclare-t-il. Effectivement, la plupart des journaux en ligne n'hésitent pas à fournir du contenu gratuit pour attirer les abonnés. Une stratégie qui aurait pu apporter au média une notoriété plus importante et de nombreux abonnés. 

 

Le nouveau média décide de mettre en scène un contenu principalement filmé pour intéresser le plus grand nombre, et le décline sur différents supports numériques, tels que Twitter, Facebook, YouTube ou encore Periscope. Une initiative stratégique qui ne tient pourtant pas dans le temps à cause de multiples facteurs. 

Une gestion financière trop ambitieuse

Pour le modèle économique, Explicite s’inspire d’une autre rédaction à grand succès : Médiapart. Un trop-plein d’appétit pour le nouveau média qui, comme nous l’explique son cofondateur Olivier Ravanello, ne parvient pas à “boucler à temps une deuxième levée de fond, après un premier tour de table de 1,4 million d'euros. Pour installer un média, il faut du temps et des moyens," souligne l'ancien président de la Société des journalistes d'i-Télé.

Un manque d’encadrement éditorial

 

Explicite, c’est avant tout une rédaction de jeunes journalistes, pour la plupart bénévoles, qui “manquaient d’expérience et de prise de recul,” explique Raphaël Badache. “Il aurait fallu peut-être un meilleur encadrement des équipes et une meilleure répartition des postes.” Bien que le média ait choisi de miser sur des formats variés – articles, vidéos, photoreportages, podcasts – il ne dispose d’aucune ligne éditoriale identifiée. Faute de suffisamment d’abonnés, et ne proposant pas de publicité, Explicit ne dégage alors pas assez de revenus pour poursuivre son activité.

“C’était un peu selon l’humeur du chef. On pouvait être un média écologique une semaine, et l’autre un média qui va parler des minorités. Il n’y a pas eu de réelles réflexions et je pense que c’est cela qui nous a porté le plus préjudice",explique Badache. 

Un nombre d'abonnés en chute libre 

 

Au début gratuit, pour se faire connaître, le média est passé sur abonnement en septembre 2018. Cependant seulement 1 800 abonnés ont été recrutés, alors qu’il en fallait 19 000 pour atteindre l’équilibre selon M.Olivier Ravanello : « Il fallait installer la marque et fidéliser une audience. C’est un processus qui prend du temps. On sentait bien que ça ne marchait pas", confie-t-il. 

« En dehors du milieu des journalistes, personne ne nous connaissait ou voyait passer nos contenus sur les réseaux sociaux. » explique Raphaël Badache.

C’est pourtant sur YouTube, Facebook et Twitter qu’Explicite a misé pour gagner en visibilité. Mais il faut croire que cela n’a pas été suffisant ! 

“On n'a aucun regret, il faut repenser la façon dont on délivre l'information. Ce qu'on a construit donnera des idées à d'autres médias.” déclare Olivier Ravanello. 

Mounia Saadi

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Quelques exemples de réussites médiatiques

Les Jours : le média innovant créé par et pour ses lecteurs

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Les Jours, kézako ?

Les Jours, c’est un média conçu grâce à ses lecteurs, suite au lancement d’une opération de crowdfunding sur la plateforme KissKissBankBank en 2015. Le projet du média aux 12 000 abonnés, récolte à l’époque près de 80 000 euros au lieu des 50 000 visés, ce qui lui permet de financer entièrement la conception de son site internet.  

Logo des Jours

Ligne éditoriale : Un journalisme avec de la mémoire et ancré dans l’actualité.

Les Jours, c’est aussi est un média indépendant et sans publicité qui raconte l’actualité sous la forme de séries, avec des personnages, des lieux… Attention, il ne s’agit pas de fiction pour autant : ces histoires sont belles et bien vraies. On y retrouve le monde dans lequel on vit à travers des épisodes. Ceux-ci sont publiés sous la forme de podcasts sur le site internet du média, mais aussi dans des livres ! Effectivement, quatres ouvrages sont déjà nés : L’Empire, d’Isabelle Roberts et Raphael Garrigos, Les revenants, de David Thomson et Le 36 et Grégory, de Patricia Tourancheau.

« Nous défendons un journalisme au long cours, tenace, singulier et obsessionnel » explique le cofondateur du média, Raphaël Garrigos.

Fondé en 2016 par d’anciens journalistes de Libération, le média est reconnu pour la qualité de sa forme de récit novatrice. La recherche de l’audience publicitaire est à l’opposé de la proposition éditoriale des Jours, qui entendent émerger du torrent d’informations en continu déversé chaque seconde sur internet.

« La publicité est incompatible avec notre promesse d’indépendance. Ne pas avoir de publicité nous permet, par exemple, d’enquêter sur l’industrie cosmétique, l’un des traditionnels et principaux annonceurs de la presse » déclare Raphaël Garrigos.

Avec des enquêtes en profondeur qui traitent de sujets parfois mis de côté par les « gros » médias dépendants de la pub, Les Jours doivent se constituer un capital. Mais comment font-ils ? 

Modèle économique :
« La garantie de notre indépendance passe par un actionnariat le plus diversifié ».

 

Le média a le statut d’entreprise solidaire de presse d’information. Les neuf cofondateurs des Jours, – Olivier Bertrand,

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L'équipe des Jours en conférence de rédaction - Crédit Les Jours

Nicolas Cori, Sophian Fanen, Raphaël Garrigos, Alice Géraud, Antoine Guiral, Augustin Naepels, Isabelle Roberts et Charlotte Rotman – contrôlent aujourd’hui 69,14 % du capital. Le reste du capital est participatif et détenu par la Société des amis (des abonnés actionnaires) et des actionnaires venus de la plateforme de financement participatif equity crowdfunding.

« D’autres investisseurs privés nous accompagnent. Dans un souci de totale transparence, la répartition de notre capital ainsi que l’ensemble de nos financements sont publiés sur notre site » explique le cofondateur.

Son engagement est de montrer que le journalisme peut à la fois avoir de la mémoire et être ancré dans l’actualité.

Mounia Saadi

Le 1 Hebdo, le pli au service de l’information

Le 1Hebdo, kézako ?

Fondé par Éric Fottorino, Laurent Greilsamer, Henry Hermand et Natalie Thiriez, Le 1 est un hebdomadaire français qui se veut innovant et atypique lancé en avril 2014. Tout l’intérêt est de sortir de ce qu’on appelle l'infobésité — la consommation excessive d’information de masse — et de fournir un contenu qui n’existait pas auparavant  : « Au bout d’un moment l’information finit par se ressembler sur la forme, et donc le plaisir même de consommer cette information en est réduit. C’est pour cette raison, qu’avoir un objet papier qui est singulier et qui présente des œuvres artistiques (dessin, photo…) en grand format permet de montrer la singularité du projet le 1 »  explique Julien Bisson, rédacteur en chef du média.

 

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Logo du 1 hebdo

L’ambition des quatre cofondateurs est alors de concevoir un véritable objet de presse, un journal non jetable. Une façon de créer « du durable dans l’éphémère» pour Eric Fottorino, cofondateur du 1. Le journal est depuis parvenu à capter l’attention de 25 000 abonnés papier, en se fondant sur le principe d’un modèle éditorial « pertinent ».  

 

« Aujourd’hui on peut facilement avoir des abonnés numériques. C’est pas très cher. Alors que les abonnés papiers c’est beaucoup plus difficile. C’est pourquoi le fait d’avoir ses derniers est une réelle preuve de réussite car c’est cela qui nous permet de continuer à proposer du contenu dans la globalité et de voir si ça plaît vraiment » explique Julien Bisson, rédacteur en chef journal. 

Ligne éditoriale : « Un journal pour comprendre le Monde » 

 

Le 1 se donne pour mission de décrypter l’actualité et de donner à ses lecteurs des outils pour comprendre le monde qui l’entoure. Le journal est un condensé d'idées au format « resserré » et « innovant » qui traite d'un seul grand thème d'actualité à travers les regards d'écrivains, chercheurs ou artistes. Avec 45g de papier, Le 1 s’engage à confronter les points de vues et mise sur la capacité de réflexion de ses lecteurs pour appréhender des sujets parfois complexes, le tout pour une heure de lecture. Chaque semaine, Le 1 a la contribution d'experts de tous les horizons qui brassent tous les points de vue d’un sujet d’actualité.

« Les journaux étaient toujours trop longs et la frustration des lecteurs était de ne pas arriver au bout de leur journal. Donc nous nous sommes dit qu’il fallait un journal à faible pagination » explique Eric Fottorino. « Et après de longues discussions, nous en sommes arrivés à ne traiter qu’un seul sujet. C’est là qu’on sortait de l’hypermarché de l’information pour aller, je ne dis pas à l’épicerie fine, mais vers quelque chose de très concentré. »

 

Du dessin à l’infographie en passant par la photographie et la poésie, Le 1 use de tous les outils pour accompagner le lecteur dans la bonne compréhension du sujet. Il suffit de suivre le parcours de lecture du journal.

 

Modèle économique : « Notre indépendance c'est vous ! »

 

"Le plus important est l'indépendance vis-à-vis des actionnaires ». Le média ne dépend d’aucun groupe financier. C’est une manière pour lui d’assurer à ses lecteurs la circulation d’une information fiable comme l’explique Julien Bisson, le rédacteur en chef : « Je pense que parmi les éléments de réussite du 1, il y a déjà son indépendance. On a vu les problèmes d’indépendance journalistique qu’il peut y avoir dans certains grands groupes de presse détenus par des industriels. Et donc le fait qu’il y ait cette indépendance à la fois vis-à-vis du pouvoir politique et des forces d’argent permet de gagner une forme de confiance avec les lecteurs. » 

 

Petite structure, peu de salariés et un journal qui fonctionne sans aucune publicité : l’objectif premier est de capter l'intérêt des lecteurs. Et pour se faire, le média soutient qu'un modèle économique viable repose sur un modèle éditorial pertinent dans son contenu.

Mounia Saadi

La recette magique de Mediapart

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En 13 ans, Médiapart est le seul média mainstream à avoir su tirer son épingle du jeu et devenir un leader du journalisme sur internet. Média idéal pour certains, vecteur d’informations crédibles pour d’autres, retour sur la success story de celui qui est aujourd’hui le premier site d’actualité française. 

 

Médiapart, c’est d’abord l’histoire d’un groupe de journalistes rêveurs. François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Maudit et Edwy Plenel partagent une volonté commune d’indépendance. Mais, face à leur ambition se présentent deux obstacles. Le premier est le plus évident : le nerf de la guerre, c’est l’argent. Les médias marchent effectivement, pour la plupart, grâce aux investissements de grands milliardaires. Le second, plus technique, ils n’ont aucune connaissance en matière d’information en ligne. C’est pourtant là qu’ils espèrent pouvoir jouir de cette liberté tant convoitée. 

« Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter ! » 

 

Un modèle économique qui garantit une indépendance

 

1 - L’indépendance économique de Mediapart suit une stratégie qui n’est pas pour déplaire aux lecteurs : le boycott d’une publicité de plus en plus envahissante et nuisible.

2 - Mediapart transfère l’intégralité des fonds à une structure à but non lucratif. De quoi le protéger en le rendant inaccessible, inattaquable. L’idée est réfléchie : faire en sorte que le média n’appartienne à personne, pour rendre impossible son rachat. Un système anti-capitaliste instauré il y a une dizaine d’années. Ce statut à mi-chemin entre l'association et la fondation - et déjà répandu dans les champs culturels et caritatifs - n'avait jamais été expérimenté dans la presse. Baptisé «Fonds pour une presse libre», cette structure prend la forme d'un fonds de dotation. Sa principale mission consiste, via différentes actions financières, à promouvoir la liberté et le pluralisme de l’information. 

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Une ligne éditoriale bien précise 

 

Dans sa déclaration d'intention publiée lors du lancement du site en 2008, Mediapart se déclare

journal en ligne d’information généraliste, s’adressant à une clientèle que ni l’offre papier existante ni l’offre en ligne ne satisfont aujourd’hui. Ce projet naît d’un double constat. 

 

D’une part, la crise de la presse papier est liée à un problème d’offre éditoriale : il y a un manque de diversité des angles dans le contenu proposé. D’autre part, faire émerger une plateforme sur internet sans l’utilisation de la publicité paraît quasi-impossible quand le concurrentiel est majoritairement gratuit. 

 

Mediapart se veut l’emblème d’un nouveau modèle d’information. Son objectif est de devenir le média d’information de référence en se définissant par quatre mots : qualité, indépendance, pertinence et exclusivité. La ligne éditoriale est alors définie pour mettre à l’honneur le format de l’enquête afin de trier et hiérarchiser au mieux les informations. 

Une relation de confiance avec les abonnés

L’éclair de génie dans la stratégie de développement de Mediapart réside dans sa proximité avec ses abonnés. La directrice générale, Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy explique : "Nous ne demandons aucune information à nos abonnés, même pas leur âge. (…) Nous permettons à plusieurs personnes de se connecter avec le même compte, les restrictions ne sont pas efficaces.” Une liberté plus grande, un laissé-aller permissif qui attire un lectorat qui se sent plus indépendant que sur d’autres plateformes peut-être trop intrusives. 

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Fier de “ne pas avoir renoncé au participatif” comme d’autres médias, Edwy Plenel reconnaît cependant “une relation parfois débordante ou conflictuelle avec son public.” Pas question pour autant de laisser ces tensions entacher quoi que ce soit  : ici, on est plutôt adepte du conflit “bon-enfant.” 

 

Pour cause, Mediapart prend l’habitude de régulièrement chouchouter son public : ils sont aujourd’hui 5000 blogueurs indépendants à pouvoir publier une centaine de billets par jour dans Le Club Médiapart — forum prévu à cet effet et qui plaît puisqu’il recense 2000 commentaires quotidiens. 

“La relation avec nos lecteurs a une grande importance à nos yeux. Comme son nom l’indique Mediapart est un média participatif, c’est pour cette raison que nous avons des blogs qui sont totalement ouverts à nos lecteurs. Une chose unique aujourd’hui dans le monde de la presse.(...) L’objectif est de laisser une liberté totale à nos abonnés d’écrire et de s’exprimer dans nos colonnes en respectant bien évidemment une charte.” explique Antton Rouget, rédacteur chez Médiapart depuis 2018. 

 

Même les abonnements sont gérés en interne. Le site chasse maintenant un public plus divers socialement et géographiquement et réfléchit à rendre ses contenus plus accessibles. 

 

Mounia Saadi 

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Edwy Plenel, dans les locaux de Mediapart en 2013

 - Crédit FRANCOIS MORI/AP/SIPA

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Journaux

La cassure entre les médias et le public était imminente et inévitable, avec le développement d’internet et des réseaux sociaux qui se sont rendus quasi indispensables dans le quotidien du français moyen. La course au clic, et finalement à l’argent, a donné lieu à un brouhaha général d’informations et de contradictions. Il faut savoir reconnaître les choses : la fonction principale du journaliste étant d’informer et d’éduquer, il y a eu une faille, une sortie de route de la part de nombreux médias. 

 

Il n’y a pas de bon ou de mauvais. Cette enquête n’a jamais eu pour but d’apporter une réponse manichéenne, mais plutôt d’apprendre, de comprendre, et d’ouvrir le dialogue. Et il est primordial, pour l’évolution de notre réflexion, de prendre en compte les conditions de travail des journalistes, la précarité du métier. 

 

Cliché encore trop présent dans l’imaginaire collectif français, les journalistes ne se résument pas qu’au présentateur du journal de 20 heures ou des chaînes d’informations en continu. Il existe un envers du décor qui ne met pas tout le monde à égalité. Les conditions de travail sont loin d'être les mêmes pour tous les journalistes. Nous nous sommes rendus compte, à travers nos échanges avec les différents intervenants, qu'être journaliste c'est beaucoup de métiers différents résumés en une profession. En 1996, Bourdieu dénonçait déjà : « Le journalisme est l’un des métiers où l’on retrouve le plus de gens inquiets, insatisfaits, révoltés ou cyniquement résignés, (…) où s’expriment très communément la colère, l’écœurement ou le découragement devant la réalité d’un travail que l’on continue à vivre ou à revendiquer comme "pas comme les autres" »

 

En vous posant la question, on s’est rendu compte que Mediapart apparaissait pour beaucoup comme le média idéal, surtout de par son caractère indépendant. La réalité, c’est qu’en démocratie, il ne peut exister un seul média idéal, une seule vérité. « Il y a différents  publics qui attendent différentes choses » nous expliquait Gary Dagorn. Cette pluralité des médias est nécessaire au paysage médiatique français : la bonne analyse d’une information se fait à travers une diversité de points de vue. 

 

Attention, nous sommes quand même parvenus à rassembler des éléments qui pourraient faire partie de la recette : une certaine indépendance économique, un fonctionnement par abonnement, de la transparence, et une pluralité des points de vue. Rappelons également que la fonction première du journaliste est d’informer, pas de plaire. 

 

Cette enquête a d’ailleurs permis de mettre en lumière l’importance de l’éducation aux médias, pas encore développée en France, dans les milieux scolaires, par exemple. Et si c’était en aguerissant  le public, qu’on pouvait recoller les morceaux de cette cassure ? 

 

Le journalisme de solution ou d’impact s’est également imposé comme l’évolution majeure du journalisme, une nouvelle manière de raconter l’actualité en apportant cette fois-ci des solutions, des initiatives positives. 

 

Finalement, comme Anne-Sophie Novel nous l’a dit, « il n’y a pas de média idéal, c’est un système médiatique idéal » qu’il faut construire. 

 Alexandre, Lois, Emma, Mounia et Amel

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